Auteur de pièces de théâtre

Textes courts

Sur le quai en Iran 18644831

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Impasse

 Le jeune : Y a qu’a regarder le film et vous verrez !

La juge : Quel film ?

Le jeune : Le film de la caméra, partout dans la ville il y a des caméras qui filment. Regardez le film.

La juge : Dans cette impasse il n’y a pas de caméras.

Le jeune : Pas de chance, je croyais qu’il y en avait partout.

Madame la Juge, on a passé un bon moment entre jeunes, c’est tout.

Pourquoi je suis ici, je perds mon temps moi, ici.

La juge : « Un bon moment », je ne suis pas sûre que la victime ait passé « un bon moment ».

Le jeune : Mais si, elle était d’accord sinon elle ne serait pas rester si longtemps avec nous. De huit heures du soir à minuit.

Si vous êtes pas d’accord vous restez pas si longtemps.

La juge : Quand vous êtes amenée dans une impasse sombre avec deux gaillards comme vous, une jeune fille n’a pas vraiment le choix.

Le jeune : Mais Madame le Juge, c’était juste pour passer un bon moment ensemble.

Si elle était pas d’accord elle l’aurait dit et on l’aurait laisser partir.

Je perds mon temps ici.

La juge : Elle indique que vous lui avez dit : « Si tu fais pas ce qu’on veut, il va t’arriver des bricoles, j’ai un couteau dans ma poche ».

Le jeune : C’est pas vrai, j’avais pas de couteau, puis avec une fille tout de même…

La juge : Oui avec une fille, pas de coups de couteau, mais une fellation, plusieurs, forcées.

Le jeune : Juste un bon moment.

La juge : Pour qui ? Pour elle ce fut un bon moment ?

Je lis :  ils m’ont tenu la tête, il a déchargé dans ma bouche puis m’a dit, « maintenant il faut être aussi gentille avec mon copain »,

J’avais peur, j’avais mal .

Un bon moment cela ?

Le jeune : C’est pas comme ça que ça s’est passé.

Moi, des filles, j’en ai tant que je veux, j’ai pas besoin de les forcer.

Cette fille c’est une fille facile, voilà, c’est tout.

La Juge : Et vous, vous êtes un garçon facile ?

Le jeune : Je ne comprends pas. Les garçons c’est pas pareil.

La juge : Ah bon, ce n’est pas pareil, vous n’êtes pas un garçon facile ?

Le jeune : Les filles, il y a les sérieuses et les faciles.

Celle là je savais qu’elle était « facile ».

La juge : Comment le saviez vous ?

Le jeune : Tout le monde le disait, elle est « facile ».

La juge : Alors on la coince un soir et on l’oblige à des fellations répétées sans oublier le petit copain.

Le jeune : Je ne sais pas que vous dire moi, je me souviens pas de tout.

La juge : Je vais vous rafraîchir la mémoire.

Elle est sortie vers dix neuf heures trente pour acheter des cigarettes pour sa mère qui ce soir là a une rage de dents.

Vous la rencontrez en ville alors qu’elle retourne chez elle et vous l’abordez avec ces mots : « Oh salope, tu suces ce soir ».

Le jeune : J’ai pas dit ça, pas comme ça.

La juge : C’est ce qu’elle relate.

Le jeune : Je la connaissais un peu et on a discuté en marchant, en rentrant à la cité.

La juge : Puis vous passez devant l’impasse et là l’ambiance change, vous refermez une grille derrière elle.

Le jeune : La porte, elle était pas fermée à clef, Madame, il suffisait de la pousser pour partir.

La juge : Facile à dire, moins à faire pour elle ce soir là.

« J’ai eu peur alors je leur ai parlé, parlé pour m’en sortir ».

Le jeune : On se connaissait, on a discuté c’est tout.

La juge : Non ce n’est pas tout et vous le savez très bien.

A un moment, après, elle dit que vous vous êtes excusé pour ce qu’il s’est passé.

C’est vrai, vous vous êtes excusé ?

Le jeune : Je m’en souviens pas, excuser de quoi ?

D’avoir passé un bon moment ensemble entre jeunes ?

La juge : Nous reviendrons aux faits, examinons maintenant votre personnalité.

Le jeune : pour lui 

Pas là

Pas moi

Pas dit

Pas pris

Pas envie

Pas peur, trop peur

Pas parler, rien dire

Tout embrouillé

Pas vouloir

Justice injuste

Pas parler

Pas vouloir

Pas peur, très peur

Pas là

Pas moi

Pas dit

Pas pris

Prison

La juge : Ton père est actuellement détenu pour plusieurs affaires ayant toutes rapport avec la drogue.

Ta mère…tu ne l’as plus.

Le jeune : Non, je ne l’ai plus.

La juge : Elle est décédée il y a trois ans.

Tu vis chez une cousine qui t’héberge et avec qui tu as un lien très fort.

Elle s’inquiète d’ailleurs beaucoup pour toi, pour ce que tu vas devenir.

Tu as été placé plusieurs fois dans des foyers mais à chaque fois il y a eu des problèmes et tu as souvent fugué.

C’est bien cela ?

Le jeune : Oui.

La juge : Qu’est ce que tu veux faire plus tard ?

Le jeune : Bien travailler, avoir une famille, réglo quoi !

La juge : Et quel travail ?

Le jeune : Je sais pas.

La juge : Les éducateurs disent que tu es un garçon intelligent mais très rétif à toute autorité et dont le niveau scolaire est bas.

Le jeune : Qu’est ce que ça veut dire « rétif ».

La juge : Que tu as du mal avec l’autorité, tu acceptes mal la discipline, tu n’aimes pas les ordres. C’est vrai ?

Le jeune : C’est pas ça, Madame, les éducateurs ils font que me crier dessus, je suis tranquille et ils me cherchent. Alors moi je préfère partir pour qu’il n’y ait pas d’embrouilles. J’aime pas les embrouilles.

Mais pour le travail, là, j’ai trouvé un patron pour un apprentissage.

La juge : Apprentissage de quoi ?

Le jeune : Boulangerie.

La juge : C’est un beau métier la boulangerie mais il faut être courageux, travailler la nuit.

Le jeune : Ca ira Madame, ça ira.

L’apprentissage je vais le faire.

Pour sûr je vais le faire.

La juge : A partir de quand ?

Le jeune : Je sais pas trop, il faut que je repasse voir le patron.

La juge : Bien nous verrons.

Je crois qu’il y a d’autres dossiers en cours te concernant.

Le jeune : Quels dossiers ?

La juge : Une affaire de vol je crois, mais ce n’est pas ce que nous jugeons aujourd’hui à cette audience.

Le jeune : Vol de quoi ?

La juge : De portable , il me semble.

Le jeune : Ah ça ! C’est des conneries que j’ai faites, j’étais jeune.

A l’époque je faisais des conneries, je savais pas, mais maintenant c’est fini, je me tiens bien.

J’ai plus d’affaires sur le dos.

La juge : Revenons à celle qui nous occupe.

Vous niez toujours ?

Le jeune : Je ne nie pas Madame, que ça s’est passé, je dis simplement qu’elle voulait bien.

La juge : Ce n’est pas ce qu’elle a déclaré lorsqu’elle est allée porter plainte, c’est donc qu’elle n’était pas consentante.

Le jeune : C’est sa mère qui l’a poussé à aller au commissariat.

Quand elle est rentrée tard, il a fallu qu’elle s’explique et elle a dit qu’on l’avait forcé.

Alors sa mère lui a dit d’aller porter plainte et elle, elle a pas pu dire non.

Voilà.

La juge : Voilà quoi ?

Le jeune : Voilà comment ça s’est passé et pourquoi elle a porté plainte.

Il n’y a qu’à lui demander.

La juge : Elle a préféré ne pas venir aujourd’hui, vous comprenez pourquoi ?

Le jeune : Non.

La juge : Parce que ce n’est pas agréable d’évoquer à nouveau ce qui s’est passé.

Le jeune : pour lui .

Pas là

Pas moi

Pas dit

Pas pris

J’aurais aimé te voir là.

Je lui voulais pas de mal

Juste un bon moment

J’ai pas été à la hauteur, à ta hauteur

M’excuser de ne pas être à ta hauteur

J’aurais aimé te voir là

Mais seul devant tous

C’est tout.

Depuis le temps que j’y pense au moment où je suis au tribunal

Même des fois j’en ai rêvé

Maintenant ça y est

J’y suis et c’est pas bon.

Ma mère, dis leur que ton fils c’est pas un salopard

C’est un bon garçon

Je suis un bon garçon

Tu n’es pas là pour leur dire

Etre à ta hauteur.

La juge : Et le jeune qui était avec vous , c’est qui ?

Le jeune : Je sais pas.

La juge : Vous le connaissez ?

Le jeune : Oui, comme ça, il passe de temps en temps dans le quartier.

La juge : Et bien sûr vous ne connaissez pas son nom ?

Le jeune : Je sais pas comme il s’appelle, je le connais de vue c’est tout.

La juge : Vous le connaissez tout de même assez pour vous promener le soir avec lui.

Le jeune : C’est pas interdit de se promener.

La juge : Non ce n’est pas interdit, c’est le reste qui est interdit, de forcer quelqu’un à des actes sexuels quand elle n’est pas d’accord, c’est un délit qui est puni sévèrement par la loi.

Le jeune : La loi elle dit pas que la vérité.

La juge : Moi je suis là pour vous la rappeler.

Le jeune : Moi, quand je me rappelle c’est pas toujours bon.

Mais c’est comme ça , Madame, à chacun sa vie.

Qu’est ce que j’y peux ?

La juge : Vous pouvez beaucoup et pour commencer, assumer vos actes.

Le jeune : Mes actes, ils sont propres.

La juge : C’est propre ce qui s’est passé dans l’impasse ?

Le jeune : L’impasse, l’impasse, toujours vous me parlez de ça .

La juge : C’est à cause de cela que vous êtes ici aujourd’hui et peut être demain en prison selon la décision que va prendre le tribunal.

La prison, vous connaissez, vous y avez déjà fait un séjour.

Pourquoi riez vous ?

Le jeune : C’est le mot « séjour » qui me fait rire, on dirait que c’est comme les vacances.

La juge : ce n’est pas tout à fait comme un « séjour » au bord de la mer.

C’est comment ?

Le jeune : C’est dur mais ça va.

La juge : Dur, pourquoi ?

Le jeune : Et bien tu peux pas aller où tu veux, tu es enfermé toute la journée et tu manges la gamelle.

Mais ça va.

La juge : A l’époque je crois que tu avais eu des problèmes avec d’autres détenus.

Le jeune : Quels problèmes ? En prison il y a beaucoup de problèmes.

J’ai pas bon m’en souvenir, Madame.

Mais si je dois y retourner, j’y retournerai, voilà c’est tout.

Dédicaces

-Bonjour.

-Bonjour.

-A quel nom la dédicace ?

-Sam.

-Vous vous appelez Sam ?

-Non c’est mon chien.

-Votre chien sait lire ?

-Non bien sûr que non., mais je me suis dit que ça lui ferait plaisir d’avoir un livre dédicacé à son nom.

- Bonjour.

- Bonjour.

- A quel nom la dédicace ?

- Ben.

- Vous avez un chien ?

- Non un chat.

-   Il sait lire ?

-   Non, quoique parfois je me demande car chaque fois que quelqu’un ouvre un livre il vient se frotter contre les pages.

Mais pourquoi me demandez vous ça ?

- Oh pour rien.

Donc Ben…

- Oui c’est mon frère. Il habite aux Etats Unis et je vais lui envoyer.

- Alors ma pièce va traverser l’Atlantique ?

- Et oui.

- Vous la lirez peut être avant.

- Ah non, je n’aime pas lire.

-         Bonjour

-         Bonjour.

-         A quel nom ?

-         Robert.

-         Mais vous avez dû vous tromper, ce n’est pas le livre de ma pièce.

-         Je sais.

-         C’est la pièce de Benoit F., son stand est un peu plus loin .

-         Je sais mais signez quand même.

-         Pourquoi ?

-         Parce que au stand de Benoit F. il y a une queue d’au moins vingt minutes avant de pouvoir se faire dédicacer sa dernière pièce.

-         Ici il n’y a personne et comme je suis pressé…

-         Bonjour.

-         Bonjour.

-         Je suis heureuse de vous rencontrer, j’ai lu toutes vos pièces.

-         Merci.

-         Qu’est ce que vous écrivez bien, j’aimerai bien écrire comme vous.

-         Vous écrivez ?

-         J’essaie. J’ai plein d’idées quand je me promène puis une fois rentrée chez moi, plus rien, j’arrive pas à aligner trois phrases. Alors je lis puis je m’endors et le lendemain j’ai tout oublié.

-         J’espère que vous aimerez ma dernière pièce, elle est un peu différente des autres vous verrez.

-         Je suis sûre qu’elle est très bien, tout ce que vous faites est très bien, j’aimerai bien écrire comme vous.

-         Je mets la dédicace à quel nom ?

-         Benoît F.

-         Benoît F ? mais…

-         Je suis sa femme.

-         Vous êtes la femme de l’auteur le plus joué depuis des années, traduit dans vingt cinq pays, célèbre au Japon, adapté au cinéma…Moi

-         je n’ai été joué qu’une fois.

-         Oui, c’est pour ça que j’aime ce que vous écrivez : ça me repose.

- Bonjour.

- Bonjour

- A quel nom la dédicace ?

- Compagnie l’Air du Vent.

- Ah vous faites du théâtre ?

- Oui je dirige une compagnie professionnelle .

- Vous cherchez des textes ?

- Nous cherchons toujours des textes.

Il y a trois ans nous avons travaillé une de vos pièces.

-   Laquelle ?

-   Je ne me souviens plus du titre.

-   Vous l’avez représenté.

-   Non, c’étaient des exercices d’atelier à partir desquels nous avons ensuite improvisé  et nous avons joué ce que nous avons improvisé.

-   Pas mon texte, alors.

-   Il faut s’affranchir du texte simplement écouter la voix de la pièce et la restituer avec ses propres mots, c’est plus habité par les comédiens tu vois…

-   Oui je vois.

-   Bon et là ça parle de quoi ?

-   C’est l’histoire d’un homme qui un soir sur un quai de gare rencontre…

-   Ah ouais, super intéressant.

Sûr qu’on va la monter ta pièce peut être pas tout de suite car actuellement on est sur un travail plutôt basé sur le corps tu vois, les comédiens s’impliquent physiquement, avec leurs tripes.

De toute façon sur un plateau si tu mets pas tes tripes à l’air ça passe pas, le spectateur ne s’en aperçoit pas, mais ça passe pas. Tu es de mon avis.

-   Oui, mais le spectateur lui…

-   Tu sais moi, en tant que metteur en scène je ne recherche pas forcément l’adhésion du public, je trouve même que c’est plutôt suspect si le public adhère spontanément à ma proposition, c’est qu’elle n’est pas assez radicale, quelque part, tu vois.

Mais faut toujours avoir des textes en réserve, tu sais ce que c’est.

-   Oui je sais.

-   Allez tchao.

-   Mais j’ai pas fait la dédicace.

-   C’est pas grave, c’était sympa de se rencontrer. A plus

-   A plus…

- Bonjour.

- Bonjour.

- Alors c’est vous qui avez écrit cette pièce.

- Oui, c’est moi.

- C’est la première fois que je rencontre un auteur, ça doit être drôlement dur d’écrire, tous ces personnages.

- Comment vous faites ?

- Bien je travaille…

- Mais comment elles vous viennent les idées, c’est des choses que vous avez vu ou entendu autour de vous ?

- Parfois oui et j’invente aussi.

- Je m’en doute mais n’empêche ce doit pas être évident.

- Et vous écrivez quand, quand l’inspiration arrive ?

- Pas uniquement sinon je n’écrirais pas beaucoup.

- Mais c’est dangereux de discuter avec un auteur, peut être que vous allez utiliser ce que nous racontons là pour une de vos pièces.

- Peut être.

- Comment vous commencez, vous avez une idée, un plan ? Les personnages ressemblent à des gens que vous connaissez ?

- Disons que c’est un mélange entre la réalité et l’imagination.

- Et vous êtes souvent joué ?

- Ca commence.

- Quelle impression ça fait de voir les personnages que vous avez imaginé en chair et en os joués par des acteurs ?

- C’est la magie du théâtre, l’incarnation.

- Je ne sais pas je ne suis jamais allé au théâtre de ma vie mais je regarde les films à la télé.

- C’est pas tout à fait la même chose.

-C’est bien aussi puis on est chez soi, il faut pas se déplacer, s’habiller.

-Vous savez c’est bien de voir les comédiens en chair et en os, c’est vivant.

- Je crois que ça me ferait un peu peur, dans le noir , le silence.

Si ça ne me plait pas j’oserai pas sortir.

- Et si ça vous plait ?

- Ah oui si ça me plait ? Je n’y avais pas pensé…si ça me plait…vous croyez que ça peut me plaire ?

- Oui je le crois, en tous cas beaucoup de gens font beaucoup de choses pour que ça vous plaise.

- J’aurai pas cru, je pensais que les acteurs ils se font d’abord plaisir à eux.

- Pas toujours..

- Et vous quand vous écrivez vous pensez d’abord aux acteurs ou au public ?

Peut être que vous pensez à vous faire plaisir aussi.

- Un peu tout en même temps plus autre chose dont je ne sais pas parler.

- Ben c’est pas simple ce que vous faites, j’aimerai pas être à votre place.

En tous cas vous êtes sympa je vais vous le prendre votre livre.

- Vous n’êtes pas obligé.

-         Je sais mais ça me fait plaisir.

-         Je mets quel nom pour la dédicace ?

-         Mauricette.

-         Mauricette…. Il écrit …voilà.

-         Il lit   C’est sympa ce que vous avez écrit , ça lui fera plaisir. C’est ma fille, elle a trois mois.

-         Alors elle pourra pas le lire.

-         Pas tout de suite mais plus tard quand vous serez célèbre.

-         Oui quand je serai célèbre.

-          

-         Bonjour

-         Bonjour

-         Vous pouvez signer là.

-         Où ça ?

-         Bien là , à côté des autres signatures.

-         Vous ne préférez pas que je signe sur mon livre.

-         Non là c’est très bien. Regardez j’ai déjà plein de signatures de vos confrères.

-         Ils ont accepté de signer ?

-         Oui il y en a même un qui m’a dit « Là on est vraiment dans la cuisine des écrivains » .

-         Oui , je comprends, mais enfin…

-         Vous ne trouvez pas ça sympa vous ? C’est original non ?

-         Pour être original, c’est original …faire signer sur une nappe en papier. Et qu’allez vous en faire ?

-         Souvenir, souvenir. Je vais peut être l’encadrer.

-         Mais pourquoi une nappe ?

-         Pour avoir l’impression d’avoir déjeuné un jour avec tous ces auteurs. Et à la fin du repas, hop un autographe ! Alors vous signez ?

-         Je ne me mets pas si facilement à table, surtout avec des gens que je ne connais pas.

-         Mais certains sont très connus, regardez cette signature, vous la reconnaissez ,

-         Je crains que oui.

-         Vous voyez , vous êtes en bonne compagnie.

-         Je crains que non..

-         Certains ont même rajouté un petit mot.

-         Je vois, on s’étale où on peut.

-         Ca vous fera de la pub pour vendre vôtre livre, aujourd’hui sans pub on n’existe pas.

-         Non, vraiment n’insistez pas.

-         Ne soyez pas timide, juste un petit gribouillis. On commence par un gribouillis et on finit…dans un théâtre à Paris. Vous ne répondez pas. Qu’est ce que j’ai dis ? Vous n’aimez pas Paris ?

-         Bonjour

-         Bonjour

-         Vous pouvez me dédicacer votre pièce ?.

-         Volontiers à quel nom ?

-         Marjorie, c’est pour moi, je m’appelle Marjorie.

-         Alors va pour Marjorie. Voilà bonne lecture.

-         Je peux lire la dédicace maintenant ?

-         Comme vous voulez, maintenant ou plus tard.

-         Maintenant. Mais dites donc elle est nulle cette dédicace.

-         Comment ça nulle ?

-         Bien oui, d’une banalité affligeante. Vous écrivez la même chose à tout le monde.

-         Pas du tout , j’essaie de personnaliser, d’écrire quelque chose de différent à chacun.

-         Bien pour moi vous ne vous êtes pas foulé et en plus il y a une faute d’orthographe

-         Où ça ?

-         Là.

-         Je n’en vois pas.

-         Cela ne s’écrit pas comme ça, il ne faut pas de « s ».

-         Si il faut un « s »

-         Je vous dis que non.

-         Je vous assure que si.

-         « s » ou pas, reprenez le votre livre.

-         Mais je vous l’ai dédicacé !

-         C’est bien pour cela que je vous le rends, votre dédicace ne me plait pas.

-         J’avais compris, mais vous lirez la pièce.

-         Si c’est dans le même style, merci !

-         Je vous trouve un peu gonflée, Marjorie.

-         Qui vous permet de m’appeler par mon prénom, nous ne nous connaissons pas.

-         Et je crois qu’il vaut mieux.

-         Et bien moi je croyais que les auteurs de théâtre étaient des gens sympas.

-         Dans leur majorité ils le sont.

-         Alors je suis tombée sur l’exception.

-         Pourquoi êtes vous si agressive ?

-         Je ne suis pas agressive mais je peux le devenir.

-         A cause d’une dédicace ?

-         D’une dédicace ratée.

-         C’est si important que cela.

-         Oui, lorsque je vais chez le boulanger, son pain doit être bon, un auteur doit bien écrire.

-         Vous savez ce que je vous propose.

-         Non.

-         Et bien écrivez là sur ce papier , un petit mot que vous destinez à un auteur que vous ne connaissez pas. Allez écrivez. Vous savez bien écrire puisque vous connaissez l’orthographe. Un peu d’imagination , c’est un exercice très formateur.

-         D’accord. Voilà.

-         Vous aviez préparé ce mot dans votre tête.

-         Pas du tout il est venu comme cela.

-         Pas mal, vous devriez écrire, vous avez de l’esprit et le style pour le servir.

-         Merci, mais une dédicace ce n’est pas bien difficile.

-         Non mais cela peut mener loin.

-       -     -     

Je prendrai le bateau du soir

Synopsis :
Dans une île,  la Tradition et la Modernité. Le sage Dioné est mort,  sa fille, la chamane et une femme médecin vont s'affronter, se confronter et se rencontrer sous l'oeil malicieux de l'esprit du mort. Des tabous et des silences vont se briser, chacun fera un voyage vers lui même avant de prendre le bateau du soir.

Personnages : 3 femmes, 1 homme.

JE PRENDRAI LE BATEAU DU SOIR

Wando : (elle entre)

Cette porte grince.
Il faudra que je m'en occupe.

(Elle regarde la pièce comme effrayée)

Je ne sais pas réparer cette porte et maintenant qui va pouvoir le faire ?
Qui va pouvoir réparer tout ce malheur… maintenant que tu n'es plus là ?

Maintenant tu es allongé dans la pièce à côté et tu ne bouges plus, tu ne bougeras plus jamais.
(un silence)
Papa.
(un silence)
Papa.
(Elle se déplace lentement regarde et touche les objets dans la pièce).
Je ne sais pas réparer cette porte, ni aucune autre.
Je mets ma main où tu as posé la tienne, cette sensation c'est ce qui me reste de toi.
Au creux de ma main désormais vide il y a le souvenir
Je ne veux pas réparer cette porte ni aucune autre.

Mankawé.
Mankawé.

Je sais que tu es là, ne te cache pas Mankawé.
Tu n'as pas quitté cette maison.
Tu n'as pas quitté l'île.
Tu ne la quitteras jamais.
Tu ne la quitteras jamais Mankawé.

Personne ne quitte jamais l'île.

Tous les ancêtres sont là, depuis le début, tous ceux qui ont couru sous les arbres, aucune vague n'efface la trace de leurs pieds sur le sable.

Ils sont tous là autours de nous.

Personne ne part.
Personne ne s'en va.
Personne ne vient.
Nous sommes dans l'île et l'île est en nous.

Mankawé tu es là ?
Je sais que tu es là.

Alain Gras

Charlie

Charlie, j’aime bien quand on est tous les deux le soir dans ma chambre, tous les deux sur le lit.

Tu me regardes et je te regarde et tous les deux on se comprend, sans rien dire, juste comme ça avec les yeux.
Tu te blottis contre moi, je te caresse, je sais que tu aimes que je te caresse même si tu ne me le dis pas.

Des fois je te parle, je te raconte ce que j’ai sur le cœur, tout ce qu’on me dit qui me plait pas, tout ce qu’on me fait qui me déplait.

Toi tu m’écoutes, tu es le seul, Charlie , qui m’écoute, tu ne dis rien, tu m’écoutes et de temps en temps tu relèves la tête, me regardes avec tes yeux que j’aime et tes oreilles se dressent pour me dire : « Va ne t’en fais pas, je suis là, moi je te comprends et je reste avec toi ».

Tes oreilles se dressent et tu poses ton museau sur mon ventre, c’est doux sur mon ventre…

Charlie, c’est un prénom que j’aime bien.

Maintenant je ne sens plus ton museau posé sur moi.

On nous a séparé.

Toi tu es au chenil des animaux et moi au chenil des humains, au chenil des femmes derrière des barreaux comme toi.
On me donne à manger deux fois par jour et la gardienne me regarde méchamment.

J’espère que toi, Charlie, quand on te donne à manger, tu as une caresse avec, moi un sale regard.
Je sais pourquoi, c’est à cause de la poubelle et de ce que j’ai jetté dedans.

Mais je pouvais pas faire autrement ; sinon c’est sûr j’aurais fait autrement.
Cette vie qui était en moi, que j’ai gardé en moi, quand elle est sortie, c’était pas possible.
Hors de moi, c’était pas possible.

Alors je l’ai mise là où on met les choses dont on ne veut plus : à la poubelle, pour s’en débarrasser.
C’est pour ça que la gardienne me regarde d’un sale œil et que je suis dans le chenil des femmes, enfermée toute seule sinon les autres me feraient du mal.

Et toi Charlie, tu es seul dans la cage où ils t’ont mis ?
Je pense à toi souvent et à ton museau sur mon ventre quand il était rond.

Maintenant, mon ventre il est plat et ce qu’il y avait dedans, ce tout petit morceau de sang, de chair et de vie que j’ai jeté hors de moi, ils m’ont dit que c’était un enfant, un bébé.

Quand c’est sorti de moi, ça criait, un cri terrible c’était, alors j’ai soulevé le couvercle en plastique et je l’ai jeté dedans.

J’ai entendu un cri encore, puis plus rien : le silence, mais dans ma tête j’entendais toujours les cris et le « boum » dans la poubelle.

Je suis rentré à la maison, c’était encore silence, mais un silence bizarre, comme si tout le monde savait mais personne ne disait rien, un silence plein de cris qui pouvaient pas sortir.

Je n’étais plus sûre que le bébé soit sorti de moi, mon ventre était redevenu comme avant mais moi j’étais plus comme avant.

Ce petit morceau de vie, sorti de moi, c’était pas vraiment moi, pas un autre non plus, qui c’était ? Pas de nom.

Ils ont dit que sa place c’est pas dans une poubelle mais sur la terre avec les autres êtres humains .
Mais comme il vit plus il faut le mettre dans la terre.

Alors demain j’irai le mettre dans la terre, au cimetière là où il y a déjà maman et papa, à côté d’eux. Et sur la plaque à côté de leur nom, je mettrai son nom : CHARLIE.

Charlie c’est un nom que j’aime bien, pas un nom pour être en cage ou dans la terre, un nom pour être libre.

Alain Gras

La voiture garée dans la rue

Personnages : Nadia. - La juge des enfants.

La juge des enfants : Nadia, je suis contente de te voir.

Nadia : Ah bon.

La juge des enfants : Bien on ne savait plus où tu étais. Ton éducateur m’a dit qu’il n’arrivait plus à te joindre.
Tes parents…

Nadia : Eux ils s’en foutent de moi.

La juge des enfants : Tu crois ?

Nadia : Sûr qu’ils s’en foutent.

La juge des enfants : Tu as dit que tu ne voulais plus rester à la maison.

Nadia : C’est vrai.

La juge des enfants : Je peux savoir pourquoi ?

Nadia : Ca me regarde.

La juge des enfants : A ton âge, ça me regarde aussi , Nadia.
Tu as des problèmes ?

Nadia : Vous en avez pas vous des problèmes ?
On a tous des problèmes.

La juge des enfants : Il y a des problèmes à la maison ?

Nadia : Vous le savez bien, pourquoi vous me posez cette question, Madame la Juge ?

La juge des enfants : Je pose les questions que je veux, Nadia.

Nadia : Et moi je donne les réponses que je veux.

La juge des enfants : J’ai là un rapport de l’assistante sociale qui dit qu’à la maison il y a des problèmes d’alcool.
C’est çà ?

Nadia : Oui, c’est devenu plus possible, alors mon frère et moi on est parti.

La juge des enfants : Ton frère est majeur mais toi tu es mineure, Nadia.

Nadia : Qu’est ce que ça change que je sois mineure , ça change rien au problème.

La juge des enfants : Tu peux demander de l’aide, nous sommes là, ton éducateur et moi pour t’apporter de l’aide.
Mais je ne suis pas sûre que tu en veuilles.
Tu ne te présentes pas aux convocations, sauf aujourd’hui.
Tu vis où actuellement, Nadia ?

Nadia : Avec mon frère.

La juge des enfants : Oui, mais où ?

Nadia : Il a une voiture.

La juge des enfants : Et alors ?

Nadia : On dort dans la voiture…

La juge des enfants : Elle est où cette voiture ?

Nadia : Garée dans la rue.

La juge des enfants : Et pour manger et se laver ?

Nadia : On se débouille, avec les commerçants du coin.

La juge des enfants : Débrouille comment ?

Nadia : Réglo, on leur rend des petits services et on peut utiliser leur toilette et des fois la douche.

La juge des enfants : Qu’est ce qu’il fait ton frère ?

Nadia : Rien, il rend service aux commerçants.
A la fin des marchés, il aide à remballer et on lui donne de la nourriture.

La juge des enfants : C’est une vie ça ?

Nadia : Non. Mais je préfère ça plutôt que de voir mon père boire, s’énerver et le reste…

La juge des enfants : D’accord, mais tu ne peux pas rester à dormir dans une voiture.
J’envisage pour toi un placement dans un foyer.
Seulement il faut que ça se passe mieux que la dernière fois.
Tu te souviens de la dernière fois ?

Nadia : On m’a mal parlé.

La juge des enfants : Je lis : « Nadia a beaucoup de difficultés pour vivre en communauté, elle se braque et perd son calme dès qu’on lui fait une remarque sur son comportement ».
C’est une animatrice du foyer qui a écrit ça.

Nadia : Elle ferait mieux de dire comment elle parle aux gens celle-là, on n’est pas des chiens.

La juge des enfants : Il faut que toi de ton côté, tu fasses des efforts.

Nadia : Des efforts, j suis prête à en faire si on me respecte.

La juge des enfants : Et toi tu respectes les autres ?

Nadia : Oui, je les traite pas de naine ou de connasse, moi…

La juge des enfants : Je t’en félicite, mais est ce qu’on peut compter sur toi pour accepter les règles de vie dans un foyer ?

Nadia : Je veux pas aller dans un foyer, Madame, je veux rester avec mon frère.

La juge des enfants : Et vivre dans la rue…

Nadia : Là au moins, personne ne m’embête.

La juge des enfants : Personne ?

Nadia : Mon frère, il me protège.

La juge des enfants : Comment c’est to avenir pour toi, Nadia ?
Tu le vois comment ?
Tu vas rester toujours avec ton frère dans la voiture garée dans la rue ?

Nadia : Sûr que non.

La juge des enfants : Alors quoi ?

Nadia : Ben, je trouverai du travail et j’aurai assez pour bien vivre.

La juge des enfants : Il te faut une formation.

Nadia : Vous voulez que je fasse quoi, vendeuse ou femme de ménage ?
Moi je veux pas.

La juge des enfants : Qu’est ce que tu veux faire ?

Nadia : Je sais pas, mais je sais ce que je ne veux pas faire.
Et puis bientôt on va partir au bord de la mer et on trouvera du boulot sur la côte.

La juge des enfants : Pour travailler il faut avoir au moins seize ans.

Nadia : Je les ai bientôt.

La juge des enfants : Bon, soyons sérieux, je prends une décision de placement te concernant, dans un foyer.

Nadia : J’irai pas.

La juge des enfants : Tu iras et j’aimerai que ton frère passe me voir.

Nadia : Il est majeur, il dépend pas de vous.

La juge des enfants : Je sais, mais je voudrai que nous discutions ensemble de sa petite sœur.

Nadia : Je suis pas petite.

La juge des enfants : Excuses moi, de sa jeune sœur.

Nadia : C’est moi ça ?

La juge des enfants : Oui, c’est toi.

Nadia : Bon je lui dirai, en attendant, salut.

La juge des enfants : A quelle adresse je t’envoie la décision de placement, Nadia.

Nadia : « La voiture garée dans la rue » ça m’arrivera.

La juge des enfants : Pour sûr ça va t’arriver.

NOIR

Alain Gras

Le container

Les sacs de cinquante kilos, j’en ai marre, marre voilà c’est tout !

Depuis ce matin dans ce container, c’est trop.
Tout ce qu’il contient c’est trop.
C’est trop tout ce qu’il contient.

Le matin ça va encore, tu es en forme, tu te lèves, tu as bu le café, ça va…

Le gars avec qui tu bosses, il plaisante encore, il te raconte l’émission ou le match de la veille à la télé et que le week-end, il va aller à la mer avec sa gonzesse, que sa meuf elle est chouette et que pour sûr, entre les rochers, elle lui laissera faire tout ce qu’il veut, entre les rochers, à l’heure de la sieste.
Seulement voilà, on est pas dimanche, et à l’heure de la sieste, il y a toujours ces putains de sacs de cacahouètes qui sont de plus en plus lourds… Et dans le container, avec le soleil qui cogne, il fait de plus en plus chaud.
Le plus dur, c’est à la fin, quand tu es au fond, qu’il faut amener les sacs sur la palette, au bord. Là, je te dis pas, tes muscles, tu crois qu’ils vont éclater, tes muscles.

J’aurais du passer le permis cariste.
Je serais en bas, le cul assis sur le siège du clark, le pied sur la pédale, à la Clark Gable.
Comme aux autos tampons, à part que je serais payé pour faire ça, et mieux qu’à faire, comment ils appellent ça : agent de manutention.
Agent mes couilles, oui.

Et l’autre qui s’éloigne avec le chariot se mettre au frais.

Entrepôt frigorifique, il y a écrit, et dans le container, maintenant, il fait au moins 50 degrés.

Le pote, y parle plus, ni de foot, ni de gonzesse, il serre les dents, son regard est de plus en plus flou.

Faut être con pour faire ce travail, et je suis con.
Je sais, si j’avais continué l’école, au lieu de me casser rapide, peut-être je serais pas dans le container.
Encore, je dis peut-être, parce-que l’autre jour, j’ai déchargé avec un licencié en histoire.
Oui, vous avez bien entendu : licencié en histoire qu’il était.
Je te dis pas l’histoire…
Moi aussi j’ai été licencié… de ma dernière place.

Ce matin, le chef est venu, il a dit : il faut respecter le plan.
Quel plan ? J’ai demandé.
Le plan de palettisation, Monsieur, 4 sacs par couche, 5 couches par palette.
4 sacs par couche, 5 couches par palette
4 sacs par couche, 5 couches par palette
4 sacs par couche, 5 couches par palette.
Avec un plan comme ça, tu vas loin dans ta vie, tu vas dans un container et puis, quand il est fini, tu vas en vider en autre. Une vie vide…
Toute la journée.
Ca doit être bien entre les rochers à l’heure de la sieste. Je suis sûr qu’il y en a qui sont allongés entre les rochers et…
Aïe, merde ! Mon pied ! Le sac sur mon pied ! La vache que ça fait mal !
Chef, faut que je descende du container, j’ai trop mal ! Votre plan il est pas bon pour moi, chef.
Il faut que je me couche, j’en peux plus ! Que je me couche au frais, entre les rochers, loin, très loin de ce container.

Comme dans les films de Clark Gable, allongé avec la fille à vos côtés qui vous sourit, plus mal nulle part.
Elle vous regarde, il y a le bruit de la mer, ses cheveux sentent bon, sa voix est douce, le soleil c’est votre copain.
La vie est belle.
Je veux me la faire belle
Je veux me faire la belle
loin du container.

NOIR

Alain Gras

Une casquette sur la tête

Personnages : Une dame âgée - Un jeune.

La dame : Je rentre chez moi, c'est le soir.
J’aime pas trop rentrer seule chez moi quand la nuit tombe, mais enfin il faut bien rentrer à sa maison.
Arrivée prés de la boulangerie je vois arriver ce garçon, il vient droit sur moi et me dit :
"Donne moi ton sac ou ça va aller mal pour toi…"
et il essaie de me l’arracher .

Mais moi je ne me laisse pas faire, ah ça non, sinon où irions nous tout de même !
Alors le sac je lui laisse pas, je m'y accroche et je crie, je crie.
Seulement voilà, il tire aussi de son côté et bien sûr il est plus fort que moi.
Il lâche pas, je lâche pas et je tombe, je lâche toujours pas, je tiens bon, il me tire avec dans le caniveau.
Je crie, lui aussi il crie de lâcher…je peux pas.
Il part en courant.
J'ai mal sur tout le côté où je suis tombé, je suis mouillé par l’eau du caniveau.
J'arrive plus à me relever, j'ai plus vingt ans vous comprenez.
Des gens arrivent, ils m'aident mais j'arrive pas à me relever, j'ai de plus en plus de mal, j'ai peut-être quelque chose de cassé.
Je dois pas être bien belle à voir, le visage par terre, je vois mon sac ouvert à côté de moi.
Il ne l'a pas pris.
Il est ouvert.
Dedans, il y a mon mouchoir, mon rouge à lèvres et une enveloppe avec la photo des mes petits-enfants… L'enveloppe elle y est plus !

Le garçon : Putain, la vieille, elle arrêtait pas de gueuler et elle voulait pas lâcher son putain de sac.
Quand je l'ai vu arriver, j'ai flairé le coup. Les vieilles comme ça elles ont toujours du fric avec elles, alors, je lui fais peur, elle me lâche son sac et à moi la bonne affaire.
Parce-que de l’argent, j'en ai pas beaucoup.
C'est pas avec ce que mes parents ils peuvent pas me donner et ce que le patron il veut pas me donner que je vais aller loin.
Comment tu veux que je m'habilles que je mange… Alors, la vieille, son argent, il me le faut, il me le faut !
Elle, elle n'en a plus besoin à son âge, alors que moi…
Seulement voilà, elle a pas voulu me le donner son sac, et elle gueulait… Même par terre, elle gueulait.
Moi, je voulais juste lui faire peur, pas tout ce cirque…Et puis les gens arrivaient, alors je l'ai laissée là, avec son putain de sac.
C'est vrai que ça fait drôle, une femme de son âge par terre. J'ai eu un peu peur qu'elle se fracasse contre le trottoir… mais bon, ça allait, elle bougeait quand je suis parti, la vieille.
N'empêche que comme affaire, c'est raté, j'ai pas un sou de plus, tout ce tintouin pour rien.
J'ai juste pu lui tirer une enveloppe de son sac, et dedans, y avait que des photos de mômes. C'est pas ses mômes à elle, elle était trop vieille pour avoir des mômes si petits, ou alors c'est de vieilles photos. Les mômes ils me regardaient sur la photo et j'avais l'impression qu'ils me disaient : "tu t’es fais niquer…"
Putain la haine !

La dame : Non, Monsieur l'agent, c'est pas lui. Vous me montrez plein de photos mais il est pas dedans. Celui là non plus… C'est pas lui. Je peux tout de même pas accuser quelqu'un à tort, ce serait pas juste.
Celui-là, peut-être…
C'est qu'il faisait plus très jour, les yeux, je les ai bien vu, ils étaient pas comme ça.
Mais qu'est-ce qu’il ont fait tous ces jeunes pour avoir la photo dans votre album, des bêtises, je suppose.
Le mien n'est pas là-dedans.
Dites, si quelqu'un retrouve les photos de mes petits-enfants et vous les ramène, vous les mettrez pas dans votre album, pour les montrer à des gens, hein ?
Ca m'ennuierait, monsieur le commissaire, de voir mes petits enfants là au milieu, vous comprenez…

Le garçon :
Je vous dis que je me promenais, c'est pas interdit, on a le droit de se promener.
Mais non je ne courrais pas, qui c'est qui a dit que je courrais ?
D'abord pourquoi on m'arrête moi, j'ai rien fait, je baladais c'est tout .
Seulement voilà dès qu'il y a problème, c'est moi qu'on soupçonne, dès qu'il y a embrouille on vient me chercher : j'ai rien fait je vous dis.
Quelle dame ? Sais pas de qui vous parlez, j'ai pas vu de dame moi, des femmes y en a plein les rues alors vous croyez pas que je vais les voir toutes, surtout les vieilles, je les regarde pas, c'est pas mon problème, moi, si elles se promènent le soir.
Peut être si je courrais c'est parce-qu'ils me poursuivaient et que je savais qu'ils allaient encore me mettre des choses dessus, des choses que j'ai pas faites, je vous jure…

La dame :
Aux urgences, ils ont été très gentils, ils m'ont fait les examens, la radio et m'ont bien soigné.
Je suis resté dix jours à l'hôpital.
J'avais mal, surtout la nuit et puis j'arrivais pas à dormir.
Toujours je voyais le garçon , la rue , la boulangerie, le trottoir, le sac.
Pourquoi ça m'est arrivé à moi ?
Les jeunes je les aime bien, je les respecte comme des adultes, qu'ils soient noirs, jaunes ou bruns,
je les respecte.
C'est pas toujours facile pour eux, ils ont pas de travail, leurs parents s'en sont pas toujours bien occupé, certains ils sont laissés à la rue.
Pourquoi moi ?
Je l'ai pas regardé méchamment ce jeune, il a cru que j'étais riche, que j'avais de l'argent.
Mes parents ils étaient pauvres et le peu d’argent que j'ai, je l'ai gagné en travaillant dur pendant des années et aujourd'hui c'est pas avec ma petite retraite…
Je lui en veux parce que c'est pas bien de s'attaquer à une personne de mon âge, je pourrais être sa grand mère à ce jeune.
Peur ? Sur le coup j'ai pas eu peur, j'ai pas réalisé, j'ai défendu mon sac.
C'est après, à l'hôpital quand ils m'ont dit que j'aurais pu prendre un coup de couteau, que j'ai eu peur.
Ils m'ont donné des cachets pour dormir la nuit.
Pourquoi ça m'est arrivé à moi ? Pourquoi ?
J'ai mal.
Il avait une casquette sur la tête.

Le garçon :
J'ai mal.
Ils m'ont bousculé, insulté, giflé.
J'ai pris des coups d'annuaire d'au moins vingt kilos sur la tête.
Parole, c'est l'annuaire d'où ce truc si lourd ? Au moins Marseille, j'aurai jamais cru qu’il y ait tant de gens avec le téléphone.
J'ai mal mais j'ai rien lâché, sur la vieille j'ai rien lâché, ça leur aurait fait trop de plaisir de me charger.
Quant même quand je la revois parterre la vieille ça me fait peur, j'aurais pu la tuer connement là en tombant , un mauvais coup contre le trottoir et dégagée, ça aurait fait vilain, j'ai mauvais souvenir à me rappeler, j'ai mauvais souvenir pour sûr.

Je vais aller voir la juge, pour s'expliquer. J'ai rien à expliquer, surtout pas à la juge. Celle là je la connais plein de paroles que je comprends pas, si elle était à ma place elle verrait que les paroles ça sert qu'à embrouiller, elle m'embrouille avec tout ça.
Maintenant j'ai juste mal dans la tronche et j'ai froid, depuis hier soir j'ai rien bouffé.
Même si je bouffe pas, je dirai rien.
Et l'avocat, j'ai droit à un avocat monsieur, quand est ce qu’il vient l'avocat ?
Ici c’est trop crade, ça sent la pisse dans la cellule et il fait froid.

Putain, ils m'ont piqué ma ceinture… enfoirés va.

La dame et le jeune ensemble

J'ai froid… j'ai froid….

Alain Gras

Actualisation : 20 octobre 2022