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Auteur de pièces de théâtre

Pièces

Le théâtre d'Alain GRAS est un théâtre d'émotions, basé sur le mystère des personnages, de leur destinée. Mystère également au sens originel du mot, une représentation de ce qui est à la fois mystérieux et clair pour l'homme. C’est à cette dimension, en chaque spectateur, qu'il s'adresse.

Dernier acte

(Éditions Art et Comédie - 2004)

Synopsis :
Un acteur célèbre rêve qu'il est abattu sur scène par un spectateur.
Il prend ce rêve très au sérieux et décide d'arrêter brusquement sa carrière. Son épouse et son agent réagissent à sa décision.
Un jeune auteur vient lui proposer sa pièce...
Reviendra-t-il sur sa décision ?

Personnages : 1 femme, 3 hommes.

DERNIER ACTE

Annouk : Oui. Et quel est le titre de cette pièce, Monsieur ?

L'auteur : LA FIN.

Annouk : C'est un bon début !

Et comment écrivez-vous FIN ?

L'auteur : F.I.N. Pourquoi ?

Annouk : Je pensais FAIM.

Pierre : Je t'en prie.

Annouk : Si l'on ne peut plus plaisanter avec un auteur... très dramatique.

L'auteur : Je ne suis pas affamé, Madame.

Annouk : Assoiffé, peut-être alors.

Vous prendrez bien un verre.

L'auteur : Non, je vous remercie. Je ne suis que de passage et je reprend un train tout à l'heure.

Annouk : Pour une fois que je vois un auteur en chair et en os. D'habitude, les auteurs que jouent mon mari ne viennent pas à la maison. C'est dommage, j'aimerais bien voir la tête de Monsieur Molière et de ces étrangers... Comment les appelles-tu déjà ? Ah, oui ! Shakespeare, Tchekov. Comment peuvent-ils bien être habillés.

Pierre, tu devrais les inviter à passer boire un verre, un de ces jours, entre deux trains, comme notre ami là.

L'auteur : Vous vous moquez

Annouk : Mais pas du tout. Je me pose une question à laquelle vous allez peut être répondre.

Qu'écrivez-vous qui n'ait pas déjà été dit par Sophocle ou Euripide ?

L'auteur : Voilà bien une question de femme.

(Pierre tousse un peu.)

Mais je n'écris rien de différent, Madame. Je continue la même histoire à travers d'autres personnages et si Monsieur votre mari accepte de prêter sa voix au héros, il continuera à dire ce qui a commencé a être murmuré il y a si longtemps et qui retentit à nouveau dès qu'un public est là  pour l'entendre : nous sommes mortels.

Annouk : Je n'ai pas besoin du théâtre pour le savoir.

L'auteur : Non, mais peut-être pour vous le rappeler.

Au fait, la prochaine fois que Messieurs Euripide et Sophocle viendront boire un verre chez vous, veuillez les saluer de ma part, nous sommes amis depuis si longtemps.

Si vous le permettez, je vous rappellerai un peu plus tard pour savoir si vous voulez jouer cette pièce. Réfléchissez. A bientôt.

Bonsoir, Madame.

Il sort.

Annouk : «  Nous sommes amis depuis si longtemps. » Quel culot, ce scribouillard !

Venir chez nous et se comparer à ... !

Pierre : C'est toi qui les a évoqués.

Annouk : Encore un génie qui court les rues. Et bien courrez et ne revenez pas ici, Monsieur le mauvais génie.

Pierre : Sûrement pas un génie, mais je vais lire sa pièce.

Annouk : Ta fin de carrière est déjà terminée.

Pierre : Je te dis que je vais lire, pas que je vais jouer.

Annouk : Allons, je sens bien que son histoire te plaît.

Alain Gras

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Le voyage de Noël

(Éditions THOT - Grenoble)

Synopsis :
A quelques jour de Noël une femme entre dans une agence de voyage pour acheter un billet.
Est-elle entrée par hasard ?
Qui est vraiment le directeur de cette agence ?
Quelles blessures secrètes les unissent ?
La venue d’un homme qui vit dans la rue permettra à chacun de se révéler et au spectateur de découvrir les personnes derrière les personnages.

Personnages : 1 femme, 2hommes.

LE VOYAGE DE NOËL

L’HOMME : Vous partez en voyage, Madame ? Pour de vrai, avec l’avion qui décolle, l’hôtesse qui vous sourit, la tête calée contre le hublot, le bruit du réacteur, et l’estomac bizarre.

LA CLIENTE : Oui, pour de vrai et pour Las Vegas.

L’HOMME : Mazette, Las Vegas, ça, ça doit être chouette ! Oui, ça doit être chouette les casinos, costumes sombres et robes claires, colliers de perles et portefeuilles en cuir, la classe, quoi ! Et puis il y a la ligne jaune.
Vous allez franchir la ligne jaune, Madame, c’est inévitable.

LE DIRECTEUR : De quoi parlez-vous ?

(Texte dit dans un projecteur. Seuls l’homme et la cliente sont éclairés.)

L’HOMME : Je parle de la frontière, de la ligne jaune de la frontière, celle que chacun franchit un jour.
D’abord on se tient longtemps immobile juste quelques centimètres avant la ligne : on a tout son temps, tout le temps. Celui qui vous précède discute là-bas, à quelques mètres, avec l’homme en uniforme. Mais moi, j’ai tout mon temps. Ce n’est pas encore à moi. Derrière, les autres, ils s’agitent, ils bavardent. Moi je ne parle plus, à l’instant je suis immobile et je ne dis rien, peut-être que j’attends mais plus certainement je suis immobile, comme de toute éternité, à l’instant là.

LA CLIENTE : Puis c’est à mon tour ; alors je la franchis, je me détache des autres pour aller vers je ne sais pas encore quoi, j’ai fait tout le voyage pour atteindre ce je ne sais pas encore quoi. A ce moment, je suis vraiment qui je suis, pas celle que j’aurais voulu être.
(Elle le regarde et ferme lentement les yeux, parle comme si elle ne s’adressait qu’à lui dans la plus grande intimité.)
Il y quelques mètres à faire une fois la ligne jaune franchie pour atteindre l’uniforme. Trois, quatre pas, guère plus, les premiers au-delà de la ligne jaune, comme neufs, comme les pas de l’acteur qui entre en scène, ou ces quelques pas si nouveaux que vous faites avec celui à qui vous avez pris la main pour la première fois, qui ne l’a pas retirée et chemine avec vous maintenant dans ces quelques pas, sans vous regarder. Vous êtes ensemble. (Ils sont côte à côte.)

L’HOMME : C’est pareil, à part que vous êtes seul ; je suis seul devant l’uniforme ; là, pas de regard, que des mots, des chiffres, des dates. Ultime tour de guet avant le pays nouveau qui bat derrière la porte que je fixe devant moi, que je vais franchir, que je franchis à l’instant.
Je viens de passer la ligne jaune, la frontière.

LA CLIENTE : Je viens de franchir la ligne jaune

L’HOMME : Vous savez ce dont je parle ; nous sommes semblables, frère et sœur de la même frontière. Nous nous regardons simplement par-dessus la ligne jaune. Voyez (il montre sa chaussure où est tracée une bande jaune sur la pointe.) Le jour où je l’ai franchie moi aussi, il y a bien longtemps, je l’ai peinte, là, sur le bout. Elle est toujours avec moi, elle ne me quitte jamais, sauf le soir, quand je retire mes chaussures, mais le reste du temps j’observe et on m’observe par-dessus la ligne. La frontière, ça peut séparer mais ça peut unir aussi. Vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas, Madame ?

LA CLIENTE : Oui, je vois très bien.
(Un temps.)

Alain Gras

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Elle et Lui

(Alna éditeur - 2006)
 
Synopsis :
Qui est cette femme qui, un soir, après l'avoir suivi depuis la gare, débarque dans la vie d'un homme et lui déclare qu'elle est sa fille ?
Un flic venu enquêter ?
Une journaliste à la recherche d'informations ?
Une voleuse ?
Une bonne sœur venue l'absoudre ?
L'homme n'a qu’une certitude : bientôt, il passera devant la justice pour avoir torturé et fait disparaître les opposants du régime qu'il servait il y a quelques années.
Mais ce soir, cette femme est là, et l'oblige à considérer ses actes, sa vie, en toute vérité.

Personnages : 1 jeune femme, 1 homme plus âgé

ELLE ET LUI

Plateau nu, 2 chaises éclairées, 1 porte éclairée côté jardin fond

Lui : Il est face à la porte qu'il maintient avec ses deux mains les bras tendus.
Cela suffit maintenant, vous n'entrerez pas, je ne veux pas.
Il se retourne dos à la porte, le dos contre la porte

Elle : on entend sa voix derrière la porte
Laissez moi entrer !

L : Je vous dis que vous n'entrerez pas.

E : Je veux entrer.

L : Je vous dis non, non cela suffit, laissez moi tranquille.

E : Je veux vous parler !

L : Vous m'avez déjà parlé et je ne comprends rien à ce que vous dites. Je ne vous connais pas votre histoire ne me concerne pas.

E : Je vais tout vous expliquer.

L : Depuis la gare, depuis que je suis descendu du train vous m'expliquez.

E : Écoutez, écoutez, vous m'entendez ? un silence.
L'homme se détache lentement de la porte, il s'en éloigne sans bruit et l'observant.
Au bout d'un moment, il se détend comme si l'autre était partie.

E : Je suis toujours là. Je vais rester et attendre.

L : Attendre quoi ?

E : Que vous me laissiez entrer pour vous raconter mon histoire, notre histoire.

L : Je la connais votre histoire et je ne la crois pas. Vous n'êtes pas ma fille, je n'ai pas de fille, je n'ai jamais eu de fille et je n'en aurai jamais !

E : Pourtant vous avez une, Monsieur, c'est moi.

L : Assez !

E : Soyez tranquille, je ne vais pas faire de scandale, je veux simplement rester là jusqu'à ce que vous vouliez bien m'ouvrir.

L : Il est tard, je suis fatigué. Écoutez, Mademoiselle, rentrez chez vous…

E : Mais chez moi c'est là où est mon père.

L : Je ne suis pas votre père, croyez-moi.

E : Vous l'êtes croyez-moi !
Un temps où il s'éloigne de la porte va au centre du plateau puis soudain précipitamment revient vers la porte l'ouvre et retourne au centre du plateau.
Elle se tient immobile dans l'encadrement de la porte, très calme. Elle entre lentement.

E: Rappelez vous, il y a trente ans, où étiez vous ?

L : Comment voulez vous que je me souvienne où j'étais il y a trente ans. Dans cette ville certainement, je ne l'ai jamais quitté.

E : C'était l'été, vous étiez en vacances à l'hôtel de la Croix de Malte.

L : L'hôtel de la Croix de Malte : connais pas.

E : Sur le bord du lac.

L : Quel lac ?

E : Le lac à la frontière. Il y a avait l'homme d'affaires qui travaillait dans les huiles, le prêtre avec qui vous jouez aux échecs chaque soir et aussi une femme.

L : C'est normal qu'il y ait une femme en vacances dans un hôtel, je ne me souviens pas.

E : Faites un petit effort, son mari venait de mourir. Elle venait se reposer au bord du lac.
Un endroit si calme
Le soir après le dîner, elle aimait se promener sur le ponton en bois, au milieu des joncs et regarder s'envoler les oiseaux.
Souvenez-vous l'eau était si claire. On avait l'impression que les barques flottaient dans l'air.
Les soirs sont si doux au bord du lac lorsque les oiseaux s'envolent.

L : Oui, les soirs sont doux au bord du lac et bien ?

E : Et bien un soir, après la promenade, vous l'avez raccompagnée jusqu'à sa chambre, il était tard et vous avez franchi la porte.
Elle se retourne et montre la porte par laquelle elle est entrée.

L : Si vous croyez que je me souviens trente ans après.

E : Vous ne vous souvenez pas de son nom, ni même de son visage mais votre corps se souvient de son corps.

L : J'ai rencontré pas mal de femmes vous savez, Mademoiselle, et maintenant je confonds un peu, parfois j'ai même l'impression qu'il n'y en a eu qu'une faîte avec chacune.
Mais c'est vrai, il me semble qu'au bord d’un lac un soir…et après.

E : Après je suis née, enfin neuf mois après.

L : Ecoutez, vous entrez chez moi évoquant une aventure vieille de trente ans et vous vous déclarez ma fille. N'importe qui peut raconter çà.

E : Mais je ne suis pas n'importe qui.

L : Ce n'est pas ce que je voulais dire, mais comprenez.

E : Bien sûr que je comprends, je suis même venu pour çà, pour comprendre et vous rencontrer. Nous avons tout notre temps.

L : Vous peut-être mais pas moi, il est tard.

E : Il était tard aussi cette nuit là, il y a trente ans.

L : Non ce n'est pas possible.

E : Qu'est ce qui n'est pas possible ?

L : Qu'une enfant soit née de cet instant.

E : Les enfants naissent toujours de ce genre d'instant.

Alain Gras

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Totale Charité

(Alna éditeur 2006)

Synopsis :
Une voix dans lors d'un voyage en train, il y a longtemps et Madame Marguerite a fondé Totale Charité l'organisation humanitaire planétaire.
Pour elle cette voix ne pouvait être que "divine".
Mais l'homme qui est dans son bureau ce matin lui déclare:"Je suis venu pour la vérité"
De quelle vérité s'agit-il ?
Celle qui est déjà écrite ou celle qui émerge du passé et remet en cause bien des certitudes ?
A travers cette rencontre Madame Marguerite va atteindre sa vérité ultime...

Personnages : Une femme, un homme.

TOTALE CHARITÉ

Madame Marguerite : Je n’ai pas besoin de Totale Charité pour exister.
Qui vous envoie Monsieur Berg et qui êtes vous ?

Monsieur Berg : Un serviteur, un modeste serviteur envoyé auprès de vous.

Madame Marguerite : Pourquoi ne s’adresse-t-il pas directement à moi ?

Monsieur Berg : Comme dans le train…
Mais vous n’êtes plus la jeune fille d’alors et la femme d’aujourd’hui ne prendrait pas sa voix au sérieux,
pire elle ne l’entendrait pas.
Il y a tellement de bruits autour de vous, Madame Marguerite, que vous ne pouvez plus l’entendre.

Madame Marguerite : Vous vous trompez, je suis encore capable de…

Monsieur Berg : D’obéir ?

Madame Marguerite : Cela dépend.

Monsieur Berg : Vous voyez, vous posez déjà des conditions.

Madame Marguerite : Vous ne savez pas tout , monsieur l’écrivain et vous vous trompez sur plusieurs points.
J’ai bien entendu la voix, ce jour là, dans ce train et au milieu de ces gens.
Sur l’instant, j’ai cru m’être endormie et avoir rêvé.
Mais la voix seule n’aurait pas suffi pour que je prenne ma décision.
Seulement, voilà, il y a eu le regard.

Monsieur Berg : Quel regard ?

Madame Marguerite : Vous voyez que vous ne savez pas tout.
Le regard que j’ai croisé à ma sortie de la gare, encore toute bouleversée par ce qui venait de se passer dans le train.
J’ai alors rencontré le regard d’un homme qui se trouvait là, j’ai eu le sentiment qu’il savait ce qui venait de se passer pour moi, qu’il était comme un témoin venu me dire : « Tu n’as pas rêvé cette voix ni son message ».
Je ne sais pas qui était cet homme, il n’avait rien de particulier, il se tenait simplement immobile au milieu du flot des voyageurs.
J’ai eu l’impression qu’il attendait quelqu’un.
Nous nous sommes regardé sans un mot, comme si nous nous connaissions depuis longtemps, mais peut être nous connaissions nous depuis longtemps.

Monsieur Berg : En sortant de la gare, il commençait à neiger.
Les flocons semblaient voler dans l’air et ils tombaient doucement sur vos cheveux.
Vous n’aviez pas de chapeau et portiez un manteau bleu marine avec une écharpe de laine blanche.
Vous sentiez sur votre visage le froid de la neige pourtant vos joues étaient rouges et vous aviez très chaud, à l’intérieur de vous un brasier s’était éclairé et il brûle encore aujourd’hui.

Madame Marguerite : Je ne sais pas comment vous savez ces choses mais vous je ne vous connais pas …et je n’aime pas votre regard.

Le reste c’est ce que vous appelez de la prémonition ou alors lisez vous peut être dans les pensées.

Monsieur Berg : Ni l’un ni l’autre;

Madame Marguerite : De toute façon, je m’en moque.

Monsieur Berg : Dans certain cas l’esprit rationnel n’aide pas beaucoup.

Madame Marguerite : Moi, voyez vous, c’est avec la raison que je fonctionne.

Monsieur Berg : Pas uniquement, sinon vous n’auriez pas pris au sérieux la voix et ce qu’elle disait.

Madame Marguerite : Qui m’a parlé ?

Monsieur Berg : Enfin, vous sortez de vos certitudes, nous allons pouvoir nous entendre.

Madame Marguerite : Je n’ai pas envie de m’entendre avec vous.

Monsieur Berg : Entendez, tout simplement.

Madame Marguerite : Entendre quoi ?
Encore une voix ?

Monsieur Berg : Non, l’expérience était unique, « il » ne s’est adressé directement à vous qu’une fois, maintenant c’est avec moi que vous avez à faire.

Madame Marguerite : J’aurai préféré quelqu’un de plus…de plus…

Monsieur Berg : Angélique !

Madame Marguerite : Oui c’est ça.

Monsieur Berg : Qui vous apparaîtrez nimbé de lumière et en majesté !
Et bien j’ai pris le bus pour venir et je suis en costume.
Il faut s’adapter.

Alain Gras

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A la décharge

Synopsis :
Des monologues s'enchainent, à tour de rôle chaque personnage vient jeter à la décharge un objet qui a fait partie de sa vie , raconte un morceau de son histoire.
Par ce geste, il nous fait entrer dans son intimité avec ses blessures, ses deuils, ses abandons qui sont aussi les nôtres.

Personnages : Suite de monologues pour femmes et hommes à dire dans l'ordre ou le désordre...

LA DÉCHARGE

« Trois balles dans le rouge et c’est gagné, Messieurs-Dames ! »

Et ça tirait, ça tirait et derrière la carabine il y avait ce soir là, le plus bel homme qui ait tiré au stand de la fête foraine où je venais depuis que j’étais petite.
Il tirait si bien que le patron du stand avait dit , l’air un peu agacé : « Allez choisissez sur l’étagère du haut ».
Et j’avais montré le clown du doigt.
Maintenant je marchais dans les allées boueuses, au milieu des odeurs de chichis et de cornets de frites, avec au loin la grande roue illuminée, je marchais avec à mon bras cet homme et dans l’autre le clown.
Ce clown que je suis venu balancer avec toute ma force.
Moi, la petite grenouille du quartier du Pont Neuf que les gars regardaient toujours avec un sourire au coin des lèvres.
La petite grenouille qui avait toujours l’air triste et qui ne riait pas aux grosses plaisanteries des garçons mais qui les fixait bien en face dans les yeux.
Ils arrêtaient alors de rire comme gênés par ce qu’ils venaient de dire là à cette grenouille toute maigre qui les regardait comme on ne les avait jamais regardé.
L’homme à la carabine, lui aussi je l’avais regardé bien en face et il n’avait pas baissé les yeux il n’avait pas ri non plus, simplement une drôle de lueur était passée dans son regard qui me disait : viens là contre mon épaule, elle est douce et chaude, viens poser ta tête, de là c’est un bon endroit pour regarder le ciel.
Alors j’avais posé ma tête et j’étais montée vers les étoiles et tout son corps à lui était monté avec moi, avec la petite grenouille.
Nous montions vers les étoiles par une belle nuit d’été sous une arche du pont Neuf....

......................

Voir la lumière dans la nuit et peindre la nuit avec la lumière.
Ne plus vivre que pour ça, qu’avec ça, tenir tout le reste à distance, les autres aussi s’en éloigner, vivre avec la couleur, dans la couleur, être couleur.
Tout donner sans espoir, n’espérer que dans le bleu, se précipiter dans le vert.

Jamais rien reçu ni personne, pas de critiques, pas d’acheteurs, pas de connaisseurs, la connaissance n’a rien à faire dans l’atelier, que le corps qui fait mal, et le bruit du pinceau.
Le bleu.
Le vert…
Seulement le bleu et le vert, pas d’effets.
Rien reçu ni personne…

Ne plus répondre, ni au téléphone, ni à la sonnette de la porte d’entrée.
Inutile de répondre, je connais déjà les questions :
« Pourquoi ne changez vous pas de style ? »
« Pourquoi toujours les mêmes deux couleurs ? »
« Pourquoi vous obstinez vous ? »
« Pourquoi ? Pourquoi ? ».

Pour quoi ?

Seul maintenant et plus d’atelier.
Maintenant seul.
Pas malheureux, non pas malheureux…enfin pas trop.
Pas trop de bleus mais plus de vert.
Plus vert du tout.
Très fatigué, oui très fatigué.
En vie et fermer les yeux, plus de couleurs, que le noir, autre chose, le noir.

Et vous ? Vous, pourquoi écrivez vous ?
Si vous avez la réponse, vous n’écrivez pas avec votre âme.
Vous écrivez pour manger, pour vous remplir moi je peins pour me vider.

Jamais de jaune ni de rouge, que du bleu et du vert.
Jamais de pleurs non plus, ne pas pleurer sur son sort.
Pleurer pour une seule chose, pleurer sur une seule chose : la beauté.

Pour la beauté, oui, pleurer, le jour comme la nuit
Pleurer seul la nuit…avec la beauté.

Incompris…
Incompris par qui ? Puisqu’il n’y a personne .
Seul pour affronter la vérité, la vérité en deux couleurs, toute la vérité dans ces deux couleurs.
Le reste ne sont que des effets, des grimaces avec un pinceau.
La toile n’est pas un bouclier pour se protéger de la vérité, la toile est le lieu de la vérité.
Au bout du pinceau : la vérité.
De chaque côté du pinceau : la vérité.
Etre capable de la contempler en face, alors peut être , oui, le nom d’artiste.
Mais le nom ne sert à rien, seul le pinceau est utile devant la toile.

..................

Je viens jeter les mots…

Ne craignez rien, ils ne sont plus explosifs, ils sont devenus inoffensifs à force d’avoir servi.

Tous ces mots qui tournent dans ma tête et qui ne peuvent pas dire, qui ne peuvent rien dire sur la beauté, sur le vent et sur les arbres car la beauté, le vent et les arbres ne se laissent pas enfermer dans les mots.

Les mots sont une île et je cherche un continent à découvrir et à parcourir.
Les mots sont un continent et j’ai besoin d’une île où me réfugier.

Personne ne m’attend, trop pressés pour attendre, pressés d’en finir…

Moi je veux finir en beauté, alors je prends mon temps, j’ai tout mon temps puisque je n’ai plus les mots.

Quand on prend son temps, les autres croient qu’on leur vole quelque chose.

Je leur donne le silence.
Je l’offre pour le mettre entre les mots, tous ces mots qui sortent de leur bouche.
Avant de les jeter un jour, ils vont y croire pendant des jours, s’appuyer dessus pour avancer au milieu de tous ces mots dits par toutes ces bouches.

Des gens se rassemblaient à heure fixe dans des lieux fermés pour m’écouter.
Du haut de l’estrade je faisais tomber sur eux des mots qui étaient les bons, des mots justes qui disaient des choses vraies, sur lesquelles ils pouvaient s’appuyer pour avancer.
En les prononçant, ils m’échappaient et je ne pouvais jamais les reprendre.

Ce n’étaient pas les miens, je les avais trouvé dans des livres, emprunté à d’autres, ils n’étaient pas neufs mais avaient servis à des générations de faiseurs de mots.

Alain Gras

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'Sur le quai': duo pour clowns au bord de la mer

(Alna éditeur 2006)

Synopsis :
Deux clowns ont raté un bateau. Celui qui devait les emmener "là bas, de l'autre côté de la mer" où leur public et le succès les attendent.

Zip et Zap sur le quai se parlent et nous parlent d'espoir,de rêves et de peurs, de succès et de défaite, de ce "qui nous empêche de..." et ce "qui pourrait nous aider à...". Ils parlent comme parlent  les clowns , avec leur cœur ....pour que nous les entendions.

Personnages : 2 hommes ou 2 femmes, ou 1 homme et 1 femme. 1 voix off ou un troisième personnage.

SUR LE QUAI : DUO POUR CLOWNS AU BORD DE LA MER

Bruit de mer, de vagues, cris de mouettes.

Deux clowns entrent, ils ne sont pas forcément habillés et maquillés en clown mais certains détails montrent que se sont des clowns.

Ils vont droit au public avec beaucoup de détermination et s'arrêtent net au bord de la scène.
Ils regardent vers le public comme si ils regardaient la mer.


Zip : Le, le …le…le bateau.

Zap : Le bateau !

Zip : Il…il est…il est parti.

Zap : Il est parti !

Zip : Où est-il ?

Zap : Il est plus là.

Zip : Où ils l'ont mis ?
Y a que la mer sans bateau.

Zap : C'est pas possible.

Zip : Si, regarde.

Ils regardent le public. La tristesse puis l'effroi se lisent sur leurs visages.

Zap : C'est vide, il n'y a personne.

Zip : Complètement vide. Plus personne.
Je t'ai dit de te dépêcher.

Zap : Il faut longtemps pour venir au port.

Zip : Je t'ai dit de te dépêcher mais tu mets du temps.

Zap : J'y arrive pas.

Zip : Tu n'y arrives jamais.

Zap : Il y a trop de choses, alors je n'y arrive pas.

Zip : Tu emportes trop de choses, tu n'as pas besoin de toutes ces choses.

Zap : Si j'en ai besoin, j'ai besoin de tout pour y arriver.

Zip : Mais tu n'y arrives jamais.
A cause de toi, le bateau il est parti.

Zap : De toutes façons, il part toujours.

Zip : Oui mais cette fois avec nous dessus.
Si tu n'avais pas mis tout ce temps pour fermer ta valise.

Zap : J'ai besoin de tout.

Zip : On a jamais besoin de tout.

Zap : Moi , oui.

Zip : Peut être que le bateau va revenir.

Zap : Ah, oui il reviendrait et on monterait dessus.

Zip : Allons ne dit pas de bêtises , il reviendra pas.

Zap : Qu'est ce qu'on va devenir, j'ai peur.

Zip : Il faut pas avoir peur.

Zap : J'ai peur.
Q'est ce qu'on va faire maintenant ?

Zip : On peut pas rentrer à la maison.

Zap : Non, maintenant que j'ai fait ma valise., je peux pas la rouvrir.

Zip : On peut pas leur dire qu'on a raté le bateau.

Zap : Ils vont se moquer de nous.
Ils se moquent toujours de nous.

Zip : Nous ne pouvons pas retourner là bas, pas comme çà.
Et puis de l'autre côté de la mer, ils nous attendent.

Zap : Pour se moquer de nous ?

Zip : Non, de l'autre côté de la mer, il y a une autre terre où on se moquera plus.

Zap : Les enfants ne nous donneront plus de coups ?

Zip : Non, les enfants riront et ils nous aimeront.
De l'autre côté de la mer, il y a des pistes éclairées sous des chapiteaux de toutes les couleurs, de la belle musique.
Nous serons au milieu de la piste et ils nous aimeront chaque soir, chaque soir, ils nous aimeront.

Zap : J'ai peur.

Zip : De quoi as-tu peur ?

Zap : Qu'ils m'aiment.

NOIR.

Alain Gras

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